Le logement vaut bien un Ministère
Par Eric Allouche, directeur exécutif du réseau ERA Immobilier
Notre pays, depuis l’ère industrielle, a eu une certaine conception de l’urbanisme, et dès le début du vingtième siècle c’est une authentique pensée sur la place de l’État, de la propriété, le rôle des aides, puis sur l’aménagement du territoire et plus récemment, depuis vingt ans, sur la transition énergétique des bâtiments. C’est aussi chez nous que la sécurité de l’acte de construire aux services est la plus grande. Ce pays a toujours eu non seulement des ministres chargés du logement, principal actif des ménages, mais des personnalités remarquables ont occupé ce poste. Il faut citer Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction après-guerre, mais plus près de nous Louis Besson, Pierre Méhaignerie, Pierre-André Périssol, Marie-Noëlle Lienemann, ou Emmanuelle Cosse et bien d'autres…
Dans ce pays, attaché viscéralement à une politique du logement à part entière, voilà qu’un gouvernement vient d’être constitué sans ministre explicitement en charge du logement. Comment comprendre ce choix, ou ce non-choix ? Emmanuel Macron peut se tromper, certes, oublier, négliger, on lui reconnaîtra plutôt un sens de la tactique et de la stratégie. C’est pour cela qu’il est peu probable que ce silence de l’organigramme ne soit pas intentionnel et calculé. Deux explications possibles, cumulatives d’ailleurs. Le Président de la République pense d’abord que la situation du logement n’est pas tellement dégradée qu’elle doive motiver la nomination d’un grand ministère, entier et prioritaire. Il considère en outre sans doute que le rattachement à deux ministères de premier plan, la transition écologique et la cohésion des territoires, sera plus efficace et évitera de travailler en silo, et que le sujet du logement dépend de thèmes supérieurs. Une explication comme l’autre, ou les deux ensemble, ne sont pas recevables.
La situation du logement, besoin fondamental, n’est pas satisfaisante. Une offre en retrait par rapport aux demandes, dans des proportions au demeurant mal connues, mais on parle probablement de deux ou trois millions d’unités. La croissance démographique active depuis vingt ans, les phénomènes sociologiques de décohabitation, de recomposition familiale, d’immigration, d’autres encore, ont conduit à des conditions de suroccupation des logements, d’éloignement excessif du lieu de travail, d’incapacité à assumer le coût. L’inflation révèle que l’accès facile au crédit à des taux bas a caché la misère de logements trop chers, tant dans le neuf -à cause des normes et des augmentations du prix du foncier, et aujourd’hui des matériaux- que dans l’ancien, avec les effets spéculatifs de l’hypermétropolisation. L’offre HLM n’a jamais crû si lentement. Avec 80000 agréments nouveaux en 2021 pour 120000 indispensables au bas mot. Enfin, les objectifs de transition environnementale paraissent inatteignables et il faut désormais montrer le chemin avec réalisme et précision, au-delà des oukases de la loi et des incantations politiques. Dans ce contexte socialement explosif, oui le logement est une préoccupation cardinale en soi, et non assujettie à d’autres dossiers structurants.
Notre pays peut avoir la fierté d’avoir toujours tenu le logement pour majeur, assez pour que la décision publique s’en mêle et l’organise. Non seulement les raisons de cet intérêt engagé n’ont pas varié, mais elles se sont renforcées. Il est urgent que la France dispose d’un ministre du logement fort et autonome, incarnant une volonté affirmée de se saisir efficacement des défis actuels et futurs auxquels le secteur du logement doit et devra faire face.